« Qu’entendez-vous par ‘R.O.I. de la formation’ ? Quelle est l’origine de cette démarche ? Est-ce une réalité aujourd’hui en entreprise ? »
Thierry Vaudelin: « Le concept du R.O.I. de la formation n’est pas nouveau. On en parle depuis plusieurs années. C’est un sujet qui redevient d’actualité car:
1. Les budgets des entreprises se tendent. Celles-ci, par le biais de leur responsable formation, sont à la recherche de fonds pour financer la formation, considérée comme un véritable investissement. De plus, il est bon de noter que, plus l’entreprise est importante, plus le budget de formation est important, et plus le besoin de former existe. Aussi le responsable formation regarde-t-il cette dépense de près.
2. Depuis deux/trois ans, à savoir depuis la réforme de 2009 et la création du FPSPP, les entreprises se sont vues prélever entre 5 et 13% de leur budget de formation dans le cadre de l’obligation légale du plan de formation. Cela correspond à une perte de capacité budgétaire importante pour les entreprises.
3. Par ailleurs, nous assistons à une diminution des ressources des OPCA en termes de professionnalisation. Les capacités financières dédiées aux salariés ont en général diminué (sauf chez certains OPCAs qui ont pu récupérer des fonds des co-financements publics, du FPSPP) … au profit des demandeurs d’emploi. Et c’est tant mieux si ces financements ont vraiment profité à ces personnes. Toutefois, aujourd’hui, personne n’en a la mesure. A priori, oui. Mais ces personnes ont-elles été formées en plus ? Ou s’agit-il de celles qui ont été formées avant la réforme et qui ont été affectées dans de nouvelles cases ? Beaucoup d’acteurs de la formation ne savent pas le mesurer aujourd’hui.
Aussi oui, le débat « comment récupérer les fonds de la formation prélevés ? » est bien une réalité pour le responsable formation. On parle de R.O.I. de la formation, non seulement en grand groupe, mais également en PME et en TPE. Et chaque entreprise se pose les questions suivantes : Combien investir ? Pour quelles raisons ? Que cela rapportera-t-il ? Car la formation comprend bien un enjeu financier. »
« Durant le live de l’Expert du 22 Mai dernier, vous évoquiez une approche du R.O.I. par type d’acteur dans l’entreprise. Comment une direction, un manager, un DRH, un acheteur, un responsable formation vivent-il le R.O.I. de la formation ? »
T.V. : « Les approches de la formation et du R.O.I. sont effectivement différentes selon les acteurs de l’entreprise française.
• Du point de vue de la Direction Générale ou encore de l’actionnariat de l’entreprise, à fortiori s’il est d’outre-manche, la formation est considérée comme une dépense qui vient diminuer le résultat net de l’entreprise et donc, les gains pour les actionnaires. Cela explique d’ailleurs pour partie les démarches montantes d’externalisation de la formation.
• Pour les partenaires sociaux, l’enjeu de la formation est le suivant : maintenir l’employabilité des salariés, éviter les plans sociaux et les licenciements, et faire évoluer les salariés, en termes de compétences, de poste, et de salaire. C’est bien ça leur leitmotiv. Et tout est affaire de négociation lorsqu’il s’agit de présenter l’évaluation du bilan du plan et le projet de plan N+1.
• Le DRH est intéressé par le volume de salariés formés, l’intégration des nouveaux entrants, l’adaptation au poste de travail, dans le respect de l’obligation légale de former, et le développement des compétences. Mais pas de tous ! Les talents et les managers en priorité. Car pour la DRH, l’enjeu est la protection de la fonction et de l’entreprise, au regard des règles dictées par la Direction Générale, et l’apaisement des relations, en sortie de l’entreprise.
• L’acheteur ou le responsable formation ont une mission différente : faire baisser les coûts. Ils vont ainsi porter une attention particulière à la qualité de la prestation de formation : quels moyens ont été mis en œuvre ? quelle est la satisfaction des stagiaires ? Le but : Former le plus et le mieux possible avec les budgets disponibles.
• Le manager, lui, est soucieux de voir le salarié partir le moins longtemps possible en formation -ce qui appelle une formation opérationnelle et courte-, que celui-ci monte en compétence et donc en productivité. Bref, que son collaborateur soit plus performant. »
« Pouvez-vous nous parler de l’approche de la formation et du R.O.I. chez Manpower ? »
T.V. : « Manpower a décidé d’investir dans la formation depuis 1964. A l’époque, nous étions la première entreprise de travail temporaire en France à développer des écoles de formation, tertiaires principalement, pour nos intérimaires (ndlr, les universités internes d’aujourd’hui).
Depuis, nous continuons à investir dans la formation, à deux niveaux :
1. Pour les permanents de Manpower, nous mettons en place plusieurs dispositifs, faits de parcours et d’évaluation de la formation, via une académie interne. Ces formations ont pour vocation de développer les compétences des managers, des équipes d’agences et collaborateurs des services, des nouveaux entrants et des alternants.
2. Pour les intérimaires, Manpower a mis en place des dispositifs particuliers : parcours individuels, actions métier professionnalisantes en partenariat avec nos clients, formations obligatoires et règlementaires … avec des budgets et un processus dédiés.
Et là, le R.O.I. est très facile à calculer. Nous mesurons la satisfaction sur la formation elle-même mais pas seulement. En effet, nous savons mettre en corrélation le coût réel d’une formation et le nombre d’heures, de jours, de semaines ou de mois de travail nécessaires pour amortir le coût de la formation. Et ce, avant même de mettre en place une formation.
Toutefois, le R.O.I. qui mesurerait « l’intérim abouti en CDI » est plus difficile à calculer. Il s’agirait ici de développer un questionnaire en ligne, capable de suivre la carrière professionnelle de chaque intérimaire que Manpower a formé, soit plus de 35 000 chaque année. Et là, nous parlons d’autres moyens. »
« En guise de conclusion ? »
T.V. : « Le R.O.I. de la formation est un sujet d’actualité en entreprise, en particulier pour le responsable formation. Pour autant, il semble que les moyens et le temps manquent pour formaliser et mettre en œuvre une vraie démarche… alors que les entreprises françaises ont une longueur d’avance sur leurs consœurs européennes. »