Fonction publique

La suppression de la notation dans la fonction publique d’Etat : quelles conséquences managériales ?

Le décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’Etat modifie en profondeur la manière dont les agents titulaires de la fonction publique sont évalués au sein des administrations publiques nationales. Notre expert Vijay Monany, Chef de projet et consultant chez Demos (Pôle solutions et conseil) et Maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris nous livre ici son point de vue.

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La disparition de la notation renouvelle en effet la façon dont l’Etat doit désormais appréhender les conditions d’avancement et de motivation de ses agents. Moins administrative et plus managériale, cette nouvelle formule d’évaluation marque sans doute un progrès, mais elle comporte également un certain nombre de risques que les administrations doivent aujourd’hui surmonter en inventant des méthodes souvent originales afin de conduire le plus utilement possible l’entretien annuel de leurs collaborateurs.

Que dit le décret ?

En son article 2, le décret du 28 juillet 2010 rappelle d’abord le principe d’un entretien professionnel annuel qui donne lieu à compte-rendu et qui est conduit par le supérieur hiérarchique direct.

L’article 3 du décret précise ensuite le contenu de cet entretien qui porte principalement sur :

– les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire
– les objectifs assignés au fonctionnaire pour l’année à venir
– la manière de servir du fonctionnaire
– les acquis de son expérience professionnelle
– la manière dont il exerce les fonctions d’encadrement qui lui ont été confiées
– ses perspectives d’évolution professionnelle en termes de carrière et de mobilité

Enfin, l’article 4 du décret précise que l’entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct et qu’il est visé par l’autorité hiérarchique.

Les conséquences managériales de l’évolution réglementaire

En tout état de cause, les modifications introduites par le pouvoir réglementaire doivent rendre l’entretien annuel des fonctionnaires beaucoup moins administratif et beaucoup plus managérial.

Concrètement, les agents titulaires de la fonction publique d’Etat bénéficieront d’un entretien beaucoup plus riche et beaucoup plus complet qu’auparavant. Souvent décrié comme étant d’abord un exercice de style, au cours duquel les sujets qui ont un impact véritable sur la carrière de l’agent sont soigneusement évités, cet entretien, dans sa nouvelle formule, permettra que l’on aborde tous les sujets, y compris ceux qui tiennent à l’avancement, à la mobilité, à la carrière.

En effet, dès lors que l’entretien n’est plus exclusivement tourné vers l’attribution d’une note – qui déterminait dans l’ancien dispositif les modalités de l’avancement et de la promotion – le supérieur hiérarchique direct pourra, s’il joue le jeu, se livrer à un véritable exercice managérial au cours duquel il devra évaluer les résultats de son collaborateur, apprécier sa manière de servir et, en cohérence avec cet exercice de sincérité, s’engager sur l’avancement modulé d’échelon qu’il proposera pour lui.

Le collaborateur pourra dès lors attendre de son supérieur hiérarchique qu’il s’engage sur ce qu’il proposera pour lui en termes d’avancement et, surtout, qu’il motive cette décision en cohérence avec le bilan de l’année écoulée sur lequel aura porté une partie de l’entretien.

Enfin, le collaborateur pourra évoquer avec son supérieur hiérarchique direct un certain nombre de sujets qui tiennent davantage de la gestion des ressources humaines que d’un exercice d’évaluation au sens strict du terme : les compétences, la mobilité, l’évolution professionnelle. Tous ces sujets ont évidemment une cohérence entre eux, et il était finalement bien normal qu’ils fussent traités au cours du même entretien et au cours du même moment managérial.

Les risques du nouveau dispositif

Mais si l’abandon du dispositif d’évaluation de notation marque globalement un progrès bien réel au sein de notre fonction publique d’Etat, les administrations restent confrontées à un certain nombre de risques qu’il convient de ne pas négliger.

Un risque de partialité aurait d’abord pu être soulevé, car un entretien conduit par le seul supérieur hiérarchique direct comportait manifestement le risque d’une évaluation arbitraire. Le pouvoir réglementaire a d’emblée circonscrit ce risque par l’introduction, dans le processus de l’appréciation de la valeur professionnelle du collaborateur, d’un nouvel acteur : l’autorité hiérarchique.

L’autorité hiérarchique, qui est en principe le supérieur hiérarchique direct de l’évaluateur, intervient dans le processus à deux niveaux : il vise d’abord le compte-rendu de l’entretien annuel, il est ensuite une voie de recours pour le collaborateur.

Le fait de viser le compte-rendu doit prévenir toute dérive de la part du supérieur hiérarchique direct qu’on imagine mal se départir de son impartialité dès lors qu’il sait qu’une autorité supérieure aura un droit de regard sur l’entretien qu’il a conduit. L’autorité hiérarchique constitue également une voie de recours – le recours hiérarchique – préalable au recours en commission administrative paritaire. Ce double rôle de l’autorité hiérarchique constitue bien une garantie de nature à protéger le collaborateur évalué.

Le second risque de la mise en place d’un nouveau système d’évaluation tient à la concomitance de cette réforme avec d’autres évolutions de la vie administrative avec lesquelles elle risque d’entrer en collusion.

D’abord, cette réforme intervient au moment où l’administration procède à la création d’un corps interministériel pour les attachés  d’administration. Les négociations préalables à la création de ce corps interministériel à gestion ministérielle (CIGEM) ont abouti à l’édiction d’une nouvelle règle : la totalité des attachés d’administration se verront octroyer tous les ans un mois d’avancement modulé d’échelon.

Dès lors, l’écart risque de se creuser entre le corps des attachés et les autres agents statutaires de la fonction publique. La question de l’octroi de l’avancement modulé d’échelon qui, nous l’avons plus, ne sera plus déterminé par la note qui disparaît mais par l’appréciation qualitative de la valeur professionnelle du collaborateur risque ainsi de faire l’objet d’une crispation au moment de l’entretien professionnel annuel.

Enfin, cette réforme se met également en place au moment où de nombreuses administrations sont en train de conclure, avec leurs partenaires sociaux, des accords de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC). Cette démarche GPEC se traduit la plupart du temps par l’élaboration d’un nouveau référentiel des emplois et des compétences, or, l’une des dispositions du décret de juillet 2010 consiste à intégrer, dans le cours de l’entretien professionnel, un échange sur les compétences du collaborateur et sur les acquis de son expérience. Pour les administrations, la tentation de reprendre, dans l’entretien professionnel annuel, des éléments de la GPEC est donc très grande.

Des solutions originales

Les administrations, qui vont pour la première fois expérimenter le nouveau dispositif à l’occasion de la campagne des entretiens annuels qui se déroulera au début de l’année 2013, ont su trouver des solutions originales afin de surmonter les difficultés qu’elles ont pu rencontrer dans la mise en place d’une nouvelle formule d’évaluation.

Certains établissements ont par exemple décidé d’harmoniser les règles d’octroi de l’avancement modulé d’échelon afin qu’elles soient le plus proches possibles de celles qui s’appliqueront, à partir de 2014, aux attachés d’administration du CIGEM. Ainsi, sans modifier l’enveloppe de l’avancement modulé d’échelon (90 mois pour 100 agents), certaines administrations ont modifié les règles de sa distribution. Ainsi, la Caisse des Dépôts a par exemple décidé de ne plus octroyer qu’un seul mois d’avancement modulé d’échelon afin que 90% de ses agents éligibles en bénéficient.

Concernant la collusion possible entre la démarche de GPEC et l’exercice qui consiste, au cours de l’entretien annuel, à évoquer les compétences du collaborateur et les acquis de son expérience, certaines administrations ont décidé de faire de cette contrainte une opportunité en intégrant, dans le cours de l’entretien, un exercice d’identification des compétences qui portera le double objectif de faire le point sur les compétences et les acquis du collaborateur et de venir alimenter les bases de données constituées par l’administration dans le cadre de sa démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Enfin, il convient de relever que, toujours, les administrations ont pris conscience qu’une telle réforme comporterait nécessairement une phase d’appropriation qu’il convenait d’accompagner. Gageons que ce sera le soin porté par l’administration à accompagner ce changement majeur qui déterminera la réussite de cette réforme. Ainsi, alors qu’il était auparavant une simple formalité administrative, l’entretien professionnel annuel pourrait, s’il est suffisamment accompagné, devenir un moment d’échange et de dialogue au cours duquel le manager et son collaborateur pourront se livrer à un exercice véritablement utile.