Marketing

Le consommateur est-il durablement collaboratif ?

​Collaborer pour mieux consommer, le credo a du succès. Pour se déplacer, se loger, ou encore acheter des produits frais… des plates-formes d’intermédiation entre offre et demande naissent chaque jour. Véritable révolution ou (simple) évolution des attentes des consommateurs ? Comment les acteurs traditionnels peuvent-ils s’adapter à ces nouveaux usages ? Décryptage et analyse par Cédric Baecher, directeur associé du cabinet de conseil en développement durable Nomadeis et coordonnateur de l’étude « Enjeux et perspective de l’économie collaborative » publiée par le Ministère de l’Économie en 2015.
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Solidarité, lien social et conscience environnementale sont des motivations fortes des adeptes de la consommation collaborative. Mais avant toute chose, c’est le souci d’augmenter son pouvoir d’achat qui prime. Autrement dit ce consommateur nouvelle génération est un véritable homo oeconomicus soucieux de ne pas dépenser plus qu’il ne faut. Pour cela, il est prêt à donner de son temps et de sa personne… mais aussi un peu de sa voiture, de son appartement et même de sa cuisine. La consommation collaborative permet aux particuliers « offreurs » de biens et/ou de services d’amortir plus rapidement un bien qu’ils possèdent (une voiture, un logement) mais aussi d’augmenter et de diversifier leurs revenus. Changer ses habitudes de consommation cependant ne se fait pas à n’importe quel prix. Encore faut-il que les réponses apportées aux besoins soient innovantes certes, mais surtout pertinentes. 

L’économie collaborative, une histoire d’initiés ou une aventure de masse ?

« 89 % de la population française déclare avoir déjà réalisé au moins une fois une pratique de consommation collaborative sur l’année passée (1). On constate différents niveaux de maturité selon les secteurs. Les plus développés :
– s’équiper (près de 75 % des Français ont déjà expérimenté),
– se déplacer (40 %),
– se loger (30 %).
C’est le covoiturage qui a connu la plus forte progression en 2014. 35 % des utilisateurs considèrent que leur recours au covoiturage a augmenté au cours des 12 derniers mois. Vient ensuite l’achat de produits frais à un producteur de manière collaborative (38%). C’est un phénomène grandissant, d’autant plus que certaines activités n’ont pas encore été complètement explorées, comme la livraison de produits ou de repas à domicile entre particuliers. Des relais de croissance existent encore. 26 % des répondants envisagent de recourir à la livraison de produits (repas, colis) entre particuliers, 23 % à partager un taxi et 23 % à échanger leur maison/appartement avec d’autres particuliers. »

Quel rôle le digital a-t-il joué dans l’émergence des nouvelles pratiques de consommation ?

« Le développement de plateformes internet accessibles au plus grand nombre permet de mettre en relation des particuliers ne se connaissant pas au préalable pour réaliser des transactions. Les demandeurs et les offreurs de services peuvent très facilement entrer en contact, ce qui n’était pas le cas auparavant. La connexion est immédiate, globale, mais aussi extrêmement précise géographiquement. Ces modèles collaboratifs ne sont cependant pas nés avec la vague d’adoption des smartphones et des appareils connectés en permanence. C’est un mouvement plus ancien. Les pays dans lesquels la consommation collaborative se développe rapidement, comme la France, disposent le plus souvent d’un fort terreau de vie associative et de pratiques déjà bien ancrées de modes de consommation responsables. »

Qu’est-ce qui déclenche le fait de consommer autrement ?

« La conscience environnementale et l’esprit de partage sont les déclencheurs de ce changements de pratiques. Ce n’est cependant pas le moteur numéro 1. La première motivation de consommer de manière plus économique et d’augmenter son pouvoir d’achat. Ce qu’il n’était pas possible de s’offrir sur le marché conventionnel comme objet, voyage ou sortie… l’économie partagée le permet. Si en plus, c’est l’opportunité de parler aux autres passagers lors d’un voyage en covoiturage, de faire connaissance avec ses voisins grâce au prêt de produit / de matériel ou de découvrir une ville de l’intérieur en se faisant accompagner par des locaux… c’est la cerise sur le gâteau. Ce n’est cependant pas la promesse centrale. »

Sommes-nous tous des consommateurs collaboratifs en puissance ?

« Potentiellement oui. Dans les conclusions de notre étude, nous invitons à faire la distinction entre 5 profils :
— Les opportunistes (40 % des répondants). Ils consomment d’ores et déjà des produits et services basés sur le collaboratif. C’est notamment pour eux une opportunité de regagner du pouvoir d’achat.
— Les futurs adeptes idéalistes (33 % des répondants). Ils n’ont pas encore sauté le pas, ou peu. Mais curieux, sensibles à des valeurs fortes telles que le partage et le lien social ou le respect de l’environnement, ils sont convaincus de l’émergence d’une nouvelle ère, et pourraient en devenir les futurs ambassadeurs de la consommation collaborative.
— Les engagés (13 % des répondants). Ils consomment fréquemment de manière collaborative et placent les valeurs de partage, solidarité et de communauté au centre de leur démarche. La consommation collaborative est perçue comme une opportunité de changer le modèle actuel de consommation et de préserver l’environnement. L’aspect économique revêt une importance, mais à un degré cependant moindre que pour les opportunistes.
— Les réfractaires (8 % des répondants). Ils restent volontairement en dehors, par principe et sans apporter de raison précise à leur refus.
— Les déçus critiques (6 %). Ils ont déjà expérimenté la consommation collaborative, mais l’expérience s’est avérée décevante. Ils se font écho d’un manque de fiabilité, de sécurité et de qualité des prestations collaboratives. »

Ce changement sonne-t-il la fin du modèle économique post ère industrielle ? Quels sont les scénarios possibles ?

« Nous avons paramétré et analysé plusieurs scénarios possibles qui sont décrits en détail dans le rapport d’étude « Enjeux et perspectives de la consommation collaborative ». Ces scénarios n’ont pas vocation à prédire l’avenir mais à donner des clés de lecture pour stimuler la réflexion des différents acteurs.
– Scénario 1 : La bulle collaborative
Dans un contexte économique plus favorable, l’engouement pour la consommation collaborative s’essouffle et fait face à un désaveu de la part des consommateurs, des acteurs conventionnels, des investisseurs ou encore des pouvoirs publics. Au final à part quelques success-stories remarquables, il ne s’agit en rien d’une révolution profonde. Seulement de l’arrivée de nouveaux acteurs puissants sur certains marchés jusqu’alors très fermés.
– Scénario 2 : La transition
Dans le second scénario à l’inverse, la consommation collaborative prend le pas sur les modèles traditionnels. Le premier moteur étant l’envie de consommer autrement sans rogner sur son pouvoir d’achat. Ce basculement ne peut avoir lieu que si des investissements massifs sont opérés pour professionnaliser les acteurs de l’économie collaborative et pérenniser les nouveaux circuits d’échange.
– Scénario 3 : Les synergies
Le troisième scénario, le plus probable, est l’hybridation progressive des offres de la nouvelle et de l’ancienne économie, dans une logique d’intérêt mutuel. La consommation collaborative n’est pas un pan isolé du reste du marché. Des partenariats et des coopérations se tissent les entre acteurs traditionnels qui ont bien compris l’urgence de transformer leur offre et les nouveaux venus en quête d’un modèle économique rentable sur le long terme. En parallèle, pourrait perdurer un mouvement de post-consommateurs militants dans lequel l’échange est déconnecté de toute valorisation monétaire. »

Pour les acteurs traditionnels, comment réagir… ou mieux encore pro-agir ?

« Certaines activités, mais elles sont peu nombreuses, font l’objet d’une opposition frontale, voire brutale des acteurs traditionnels. C’est le cas pour l’utilisation des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) entre particuliers ou la location de logements entre particuliers. Mais le développement de la consommation collaborative s’accompagne aussi de nouvelles opportunités économiques : création de nouveaux marchés, économies de fonctionnement, etc. avec des effets indirects positifs sur l’emploi. Les modes de réaction des acteurs traditionnels empruntent plusieurs voies.
– Adapter son offre pour répondre aux nouvelles attentes
Il s’agit de proposer des services qui cadrent avec les aspirations exprimées : économiser, créer du lien social, préserver les ressources… . De grandes chaînes hôtelières investissent par exemple massivement dans des appartements équipés de cuisine. Ils sont loués à un tarif inférieur aux chambres d’hôtel, mais assortis d’un service d’entrée de gamme (pas de ménage tous les jours)
– Pénétrer le marché grâce à des communautés implantée​s
Une autre option est de s’associer avec ces nouveaux acteurs. On observe par exemple cette tendance chez certains voyagistes qui s’appuient sur le développement des communautés de partage de bons plans et de notations, sans pour autant chercher à en prendre le contrôle.
– Se positionner comme offreur de services aux jeunes pousses
Autre alternative, les acteurs traditionnels peuvent mettre leur savoir-faire au service des acteurs de l’économie collaborative pour accompagner leur effort de professionnalisation et de développement. Les nombreux points de vente physiques sur le périmètre national font aujourd’hui la force des réseaux de distribution classiques. Ce maillage territorial représente des canaux monnayables auprès des acteurs de l’économie collaborative, en recherche de structuration et de pérennisation de leur offre. »
« Aujourd’hui, le rapport de force entre les offreurs et les acheteurs de services ou de produits a changé. Passant aisément de la situation de fournisseur à celle de consomm’acteur, il ne s’agit plus seulement pour les entreprises de cibler de futurs clients, mais de les intégrer aux nouvelles offres proposées. L’esprit d’échange, le partage, la convivialité et la limitation des intermédiaires entre producteurs et consommateurs s’ancrent dans le paysage. La motivation première reste l’intérêt économique des formules proposées. Et c’est ce qui explique, mais pour une partie seulement des acteurs de l’économie collaborative, la transformation des start-ups d’hier en véritables challengers capables de lever des millions d’euros pour déployer leur offre de services. L’esprit collaboratif n’a d’avenir que si la promesse de l’économie réalisée est au rendez-vous, en garantissant un haut niveau de fiabilité et de qualité. »
(1) Selon les résultats de l’étude réalisée par Nomadéis et TNS Sofres en novembre 2014 auprès d’un échantillon représentatif de 2 006 Français.
 
Nomadéis est un cabinet de conseil indépendant, spécialisé en environnement, développement durable et coopération internationale. Il conseille principalement des entreprises, des collectivités et institutions publiques, des fondations et associations.
Pour aller plus loin :
Consulter l’étude « Enjeux et perspectives de l’économie collaborative » publiée par le Ministère de l’Économie en 2015.