Management d'équipe

Management : l’heure de la responsabilisation

À l’heure de la révolution digitale et de la fragilisation de nombreux business model ce n’est plus le « comment » qui donne le « la » au management, mais le « pourquoi ». C’est un puissant changement de posture qui s’opère. Tous les mécanismes mis en place pour planifier à long terme les opérations à mener et contrôler leur mise en œuvre sont en passe de devenir caduques. Mise en perspective par Arnaud Winther, consultant, coach et conférencier spécialisé en transformation culturelle et managériale des entreprises. 
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Propos recueillis à l’occasion du Learning Circle organisé par Demos le 10 mai 2016. 

Pourquoi les transformations actuelles des entreprises ne constituent pas une évolution de plus, mais une révolution ?

Depuis que les smartphones s’invitent à chaque instant de notre quotidien ou presque, plus rien ne fonctionne comme avant. S’informer, consommer, communiquer, partager, innover… il y a un avant et un après 2007, année de l’entrée du premier iPhone sur le marché. Loin d’une simple évolution technologique, c’est une transformation non seulement de notre manière de consommer, mais aussi de penser et d’agir.

Quelles sont les innovations technologiques qui accélèrent le mouvement ?

Avec des réponses et des solutions accessibles à tout moment et de n’importe où en un clic, les fonctionnalités digitales deviennent comme un prolongement du cerveau de l’homme (une orthèse intellectuelle). Les usages bougent et se régénèrent plus vite que jamais. Et prévoir le futur est peine perdue tant personne ne peut prétendre prédire ce qu’il en sera. Puissants micro-processeurs, capteurs et réseaux, robotiques et drones, impression 3 D, biologie synthétique ou encore nano-technologies… les frontières du possible sont repoussées chaque jour.

Quelle place les collaborateurs sont amenés à prendre pour faciliter l’intégration de nouvelles solutions proposées sur le marché ?

Les toutes nouvelles offres de produits et de services s’affranchissent complètement des codes qui faisaient loi depuis des décennies sur certains marchés. Questionnés et bousculés, les business model d’hier, qui ont jusqu’à aujourd’hui fait leurs preuves, peuvent s’effondrer en quelques années. À moins… que l’entreprise ne soit capable de penser « out of the box ». Et pour cela, qui mieux que les collaborateurs, eux-mêmes consommateurs, pour aiguiller l’entreprise en quête de nouveaux modèles. Objectif : capter les signaux faibles des transformations à l’œuvre et identifier les virages à prendre. Encore faut-il que la parole de tous puisse se faire entendre et peser.

Quels sont les modes de management qui ne font plus loi aujourd’hui ?

Le plus primaire est le modèle clanique qui s’incarne dans les réseaux mafieux ou les milices. Violent, le chef a un pouvoir de vie et de mort sur ses membres. Hormis des situations de harcèlement au travail, ces pratiques ont disparu depuis longtemps des entreprises. Par contre, le mode pyramidal teinte encore nombre d’organisations. La structure place au cœur de son fonctionnement les liens de hiérarchie, du chef au subordonné : l’organisation et la communication sont descendantes et à sens unique. L’autorité repose sur le commandement et la capacité à contrôler tout ce qui s’y passe. Un périmètre de compétences très restreint est alloué à chacun sans ne jamais lui faire part d’une vision globale.

Qu’est-ce que l’organisation matricielle a tenté de transformer ?

L’organisation matricielle a consisté pour les dirigeants à miser sur la capacité de prédire les événements en vue de mieux les organiser. Les systèmes d’informations sont au centre des processus de décision. Les données étant précieuses, elles ne sont pas toujours partagées par tous, ce qui peut créer des luttes de pouvoir et des baronnies. Celui dont les résultats sont les plus performants est valorisé et porté aux nues. La compétition interne est extrêmement forte. Le souci du zéro défaut et les process extrêmement précis laissent peu de place au droit à l’erreur.

Pourquoi l’entreprise collaborative n’est pas la solution miracle ?

L’introduction d’un management collaboratif, qui n’irrigue pourtant pas encore la plupart des entreprises, fait l’objet de fortes attentes. Ce sont les projets qui y structurent la répartition des tâches. L’avis de nombreux acteurs est recueilli à travers des réunions et des temps d’échange fréquents, parfois jusqu’à l’extrême. Le souhait de contenter tout le monde peut déclencher des retards répétés dans la prise de décision et conduit parfois à des consensus mous. Lorsque la direction reprend alors les rênes pour faire accélérer le rythme, des messages contradictoires cohabitent. Ces injonctions paradoxales peuvent mener à la schizophrénie, au burn out voire au bore out, synonyme d’ennui et de désengagement.
Pour assurer la rentabilité de l’entreprise, c’est le « comment faire » qui a longtemps dicté, et dicte encore, le management des équipes. Aujourd’hui, la question qui prime doit être le « pourquoi ? ». Ensuite, en découle la manière avec laquelle on interagit et se met en mouvement, par rapport à une raison d’être de l’entreprise profonde et partagée par tous : on sait « pourquoi » on fait les choses et « pour quoi » on prend des décisions.

Qu’est-ce qui caractérise le management des entreprises qui emprunte le chemin de la transformation culturelle évoquée ?

Le centre de gravité de ce modèle est sa capacité à s’adapter, essayer, apprendre de ses erreurs et rebondir. La prise de décision finale reste souvent l’apanage des dirigeants. Il n’y a pas un modèle managérial type qui peut se dupliquer d’une entreprise à l’autre, les manières de faire évoluent trop vite pour cela. On peut cependant donner quelques exemples de postures qui ancrent la transformation dans l’organisation du travail.
— Tout le monde peut être écouté, si ses idées permettent de déclencher une nouvelle approche du marché ou une optimisation organisationnelle;
— L’information est largement partagée. Chacun peut accéder à tout moment à toutes les données dont il a besoin;
— Les collaborateurs sont amenés à prendre des décisions sans qu’il leur soit nécessaire de remonter toute une chaîne de management. Les managers sont là pour faciliter ce mouvement de responsabilisation;
— On ne cherche pas à débattre pour se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire. On teste les solutions dont on est convaincu et on tire les conclusions des impacts pour prendre très rapidement les décisions pour la suite;
— Le fait de se tromper est valorisé, car il permet de pivoter avec agilité et de chercher d’autres alternatives lorsque l’une d’entre elles s’avère être une impasse;
— Être soi-même dans l’entreprise est encouragé. C’est en exprimant sa part profonde que les individus déploient tout leur potentiel créatif;

Comment renouveler en permanence les modes de management sans déstabiliser les collaborateurs ?

L’impulsion d’une telle dynamique ne peut venir que de l’équipe dirigeante. Celle-ci doit se montrer exemplaire notamment en sortant du schéma command and control. Poser le principe d’une coopération entre adultes responsables capables de prendre des décisions par eux-mêmes est propice à l’éclosion des réussites économiques. En se décentrant régulièrement de ses propres pratiques managériales, la chaîne de management insuffle une dynamique et se régénère plutôt que de se figer. Dès lors que la vision proposée fait sens et ne se résume à des objectifs statiques, elle est propice à l’engagement. C’est la spontanéité de cet élan à faire, et refaire si nécessaire, qui libère les collaborateurs. Il n’est alors plus besoin de manager avec l’objectif de convaincre ou de motiver. C’est ce juste équilibre entre confiance et responsabilité qui ouvre la voie à l’excellence collective.