Santé au travail

Suicides au travail…les entreprises dans la tourmente !

130 000 tentatives et plus de 11 000 morts par an : le taux de suicides en France est aujourd'hui l'un des plus élevés de l'Union Européenne! Même s’ils ne sont effectivement pas tous liés au travail. Toutefois dans la tranche d’âge des plus actifs entre 20 et 60 ans, il y a environ 6500 suicides, dont 75% d’hommes. Face à cette situation préoccupante, quels sont les moyens d’action des entreprises ? Nous avons interviewé Virginie Bessou, notre experte en formation santé au travail sur ce point.

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Vous avez constaté une recrudescence des tentatives suicidaires dans les entreprises depuis quelques mois, à quoi cela est-il lié ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « Nous sommes plusieurs à penser que l’écart entre les exigences des salariés vis-à-vis de l’entreprise, leur défiance, et ce qu’elle leur offre concrètement risquent de nous emmener à une crise sanitaire très grave et sans précédent. Les états dépressifs et les tentatives de suicide  se développent, elles ne sont effectivement pas en régression …Ce qui est dommageable c’est qu’à ce jour, nous n’avons que très peu d’éléments factuels pour objectiver ces constats. »
 

Toutes les sociétés peuvent être touchées ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « Oui, nous pensions effectivement que certains secteurs d’activité étaient plus contraignants que d’autres, et plus concernés…Nous nous sommes trompés, car aujourd’hui tout le monde  peut se retrouver à gérer une situation d’extrême violence, c’est inquiétant ! Aussi  il nous semble important d’alerter sur les conséquences de cette situation. Nous travaillons conjointement avec l’IAPR membre actif de la FIRPS sur ce sujet.

Au-delà d’études portant sur le volet psychique, une meilleure compréhension des facteurs  précipitants et la récolte d’indicateurs, il y a un élément dont nous sommes sûrs c’est le manque de connaissance de l’entourage (et il s’agit bien en premier lieu dans l’entreprise des services RH, médecins, CHSCT …) à soutenir et à accompagner des situations de ce type. Les salariés sont de plus en plus fragilisés, les personnes qui gèrent ces cas extrêmes sont«  contraintes » souvent sans formation préalable, sans accompagnement pour assumer une prise en charge immédiate. Nous étions interpellés dernièrement par un responsable des ressources humaines, qui nous  témoignait au cours d’une réunion de travail de sa difficulté à « encaisser » l’accumulation de ces chocs psychologiques. Au-delà de l’émotion, du sentiment il y a aussi toute la responsabilité  sociétale à porter. Effectivement concernant le suicide, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet dans un arrêt du 22 février 2007. Elle a ainsi jugé «qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat, et que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

Aussi, en cas de suicide d’un salarié, le fondement le plus probable pour des poursuites pénales serait plutôt celui de l’homicide involontaire. L’article 221-6 du code pénal incrimine ce délit: « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende ». A ce titre, imaginez le poids que portent les services des Ressources Humaines ! »
 

Vous pensez que ce travail ne peut pas être pris  en charge par les médecins du travail ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « un médecin du travail, n’est ni psychologue, ni psychiatre dans la majeure partie des cas. Sa responsabilité et son utilité  sont  indéniables mais son écoute n’est pas la même. En revanche, il a un droit de prescription et peut recommander une consultation vers un confrère spécialisé.  
 
Cependant les collaborateurs, dans la précarité, n’iront pas consulter à l’extérieur car cela coûte cher. Et si les pouvoirs publics ne s’alertent pas, c’est l’entreprise qui sera, à terme, contrainte de  porter cette responsabilité sanitaire ! Il est donc impératif que nos dirigeants anticipent. La crise ne va pas arranger les choses. Ils doivent se préparer à encaisser des chocs « psychiques », auxquels ils n’étaient pas confrontés auparavant et qui peuvent avoir un effet « dévastateur » sur le collectif de travail. »
 

Quelles sont les solutions d’après vous ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « pour nous il y a une priorité, celle de former les dirigeants et les services des Ressources Humaines à gérer ces situations complexes et ne pas attendre qu’elles soient prises avec un événement complexe. Il est nécessaire d’anticiper et de leur donner les moyens d’agir le moment venu avec recul et en connaissance de cause. Ce qui n’empêche qu’elles puissent se faire accompagner « le jour j » par une équipe de psychologues dont c’est le métier. Nous avons mis en place dernièrement ce type d’accompagnement chez l’un de nos clients avec l’aide de l’IAPR. Je pense que notre rôle de cabinet de formation et de conseil est justement à ce niveau. La formation reste dans la sphère de compétence de Demos, l’accompagnement psychologique se fait, lui, par l’IAPR. Ce n’est pas notre cœur de métier, mais nous avons su nous entourer pour répondre plus largement à ces demandes.

Deuxième priorité, nous sommes persuadés qu’il est nécessaire d’ouvrir des espaces de parole permettant de restaurer le « vivre-ensemble », mais aussi la possibilité pour des salariés en détresse de s’exprimer librement auprès d’un personnel formé et spécialisé.

Ces groupes de parole peuvent prendre plusieurs formes. La première peut  être destinée aux managers sur des échanges de pratiques et sur la construction de stratégies « gagnantes » sur le plan de la santé. La deuxième est destinée, elle, à des groupes de paroles collaborateurs.
Mais cela n’est pas suffisant, il parait être pertinent  de traiter l’individu au travers par exemple  de « bulles de respiration », où chacun pourrait venir librement s’exprimer sur une situation, un mal être. »
 

Mais n’existe-t-il pas des numéros d’appel pour cela ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « Oui, mais cela ne peut suffire. Nous l’avons constaté, lorsque nous sommes en face à face, les interlocuteurs parlent plus, c’est rassurant. Le téléphone est anonyme, certes, mais honnêtement si vous allez très mal, appellerez-vous un numéro vert  au risque en plus de tomber sur une messagerie qui vous répondra que votre interlocuteur n’est pas disponible et qu’il faut laisser votre numéro de téléphone… ? »
 

Comment cela pourrait-il s’organiser ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « Nous pensons que l’entreprise pourrait à raison d’un rythme convenu au départ, mettre à disposition de ses collaborateurs « des bulles de respiration » planifiées dans la journée et dans un lieu dédié à cela. »
 

Des bulles de respiration ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « Il s’agit bien de « bulles de respiration », où chacun librement peut aller parler de ce qui le perturbe, sans connotations médicales….une « bulle » de décompression en quelque sorte…  mais qui est un espace dédié et aménagé pour accueillir les collaborateurs. »
 

Pensez-vous que les entreprises seront prêtes à cela ?

Virginie Bessou, experte en formation santé au travail : « aujourd’hui, les entreprises Françaises sont très en retard sur le sujet. Cependant si elles ne font rien, elles risquent de le payer cher à terme. La complexification des modes de vie, des relations, des contraintes du travail….vont naturellement aggraver la situation mais nous pouvons encore agir. Ces suicides sont des signaux d’alerte sur des phénomènes de malaise plus répandus dans l’entreprise. Il faut absolument les prendre en compte, avant que ces sujets ne deviennent véritablement une  grande cause de santé publique. Les prendre en compte, c’est, nous ne le répéterons jamais assez, faire de la prévention, de la prévention et encore de la prévention. »