Responsable formation

La formation réinventée…pour et par les serial learners !

Les moocs, fablabs, tutos et communautés d’apprenants… ne sont en rien le chant du cygne de la fonction formation. Ces professionnels, parfois déstabilisés, ont de vastes chantiers à accomplir dans les entreprises à même de comprendre qu’il n’y a pas de création de valeur sans cycle de régénération des compétences. Pourquoi le paysage de l’apprentissage est-il si secoué ? L’avenir n’appartient-il vraiment qu’à ceux et celles qui ont le réflexe de se former à toute heure et en tout lieu ? Est-il possible de développer ce réflexe ? Comment faire de la cellule formation un pôle d’excellence pédagogique reconnu comme tel ? Réflexions et propositions d’actions concrètes par Antoine Anglade, dirigeant au sein du cabinet Infhotep, et auteur de l’étude « Tous serial learners, dans une entreprise ouverte et apprenante » parue en 2015.

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La moitié des métiers tels qu’exercés aujourd’hui auront disparu d’ici 20 ans (1). Tout comme la bureautique et l’informatique hier, de nombreuses compétences que sont la conduite de projet, la vente, la relation client, seront demain intégrées aux autres métiers de l’entreprise. Zoom sur les conséquences que cela implique pour l’univers de la formation.
 

Vers un renouvellement des compétences toujours plus rapide

 
« On peut douter de la pérennité de la fonction de Chief digital officer car l’enjeu réel est que demain tout collaborateur soit acculturé au digital (recherches avancées sur les moteurs de recherche, e-réputation, usages des médias sociaux, démarche d’innovation…). Face à des modèles économiques qui s’adaptent de plus en plus rapidement pour rester dans la course, les entreprises ont un besoin permanent de nouvelles compétences. Or il est vain d’intégrer sans cesse de nouveaux talents sans faire évoluer les équipes déjà en place. Si l’entreprise a son rôle à jouer, ce qui est abordé ensuite ci-dessous, chaque salarié est plus que jamais concerné par cette nouvelle donne. Car chacun est appelé à prendre en main son propre développement de compétences. » 
 

Le collaborateur : nouveau killer de la formation

 
« Le profil de serial learners, déjà présent dans les entreprises, va devenir la norme et irriguer les pratiques en place. Ces killers de la formation se nourrissent de tout, tout le temps. Ils échangent sur leurs façons de travailler au sein de groupes de pairs, prennent du recul sur les situations professionnelles rencontrées et saisissent toute opportunité d’apprendre de nouvelles choses. Le serial learner est un omnivore de connaissances et un être social qui, bien loin de rester dans son coin, partage ses savoirs et savoir-faire, au sein et même en dehors de l’entreprise. Mais cette nouvelle ère n’est pas sans présenter des risques. Plus que jamais, une fracture peut s’installer entre les collaborateurs en mesure d’intégrer avec fluidité de nouvelles sources de connaissances, et ceux peu enclins à transformer leurs méthodes de travail, qui le seront encore moins demain, car la marche sera encore plus haute à franchir. » 
 

Au-delà du plan de formation, un écosystème stimulant les apprentissages

 
« Les entreprises investissent bien évidemment dans la formation de leurs employés, y compris pour développer de nouvelles compétences. Pourtant ces investissements restent trop souvent exclusivement ciblés sur les seuls 10 % du modèle des 70-20-10. Règle qui commence à être bien connue. 10 % des nouveaux apprentissages s’acquièrent lors d’une formation ou de lectures, 20 % sont issus de l’entourage professionnel et 70 % de l’expérience de travail. Mais comment passer de cette équation à une mise en musique concrète de ce 70 % ? Comment encourager et formaliser ces apprentissages informels ? »
 

Neurosciences et moocs tissent un nouveau paradigme pour la formation

 
« D’autres composantes viennent compléter la description d’un univers de la formation en profonde mutation. Les progrès en neurosciences et en psychologie cognitive apportent de nouvelles réponses pour créer des cadres d’apprentissage, au sens large, plus efficaces. L’apparition des moocs (massive open online courses), bien loin d’être une mode passagère, reconfigure la planète formation. Ces offres de qualité, en partie gratuites, démocratisent l’acquisition de nouveaux savoirs et généralisent des chemins hyper accessibles vers la connaissance. À leur image, les conférences vidéo comme les TEDx, réseau également présent en France, les nombreux articles d’experts consultables en ligne sans abonnement, les tutos sur Youtube, les webinars… participent à ce grouillement de connaissances. La production des contenus est possible par tous et en tout lieu. Mais attention, profusion ne signifie pas efficacité. Les canaux de diffusion doivent mettre en lien le bon contenu, au bon moment pour la bonne cible ».
 

L’éclatement du périmètre de la formation n’est pas sa disparition

 
« Si la fonction formation ne peut définitivement plus se penser en vase clos, les enjeux à relever ne manquent pas pour cette dernière. Des questions cruciales se posent : comment faire le tri entre tous contenus de cet écosystème certes riche, mais parfois confus ? Comment créer les conditions pour alimenter et stimuler les collaborateurs sans les submerger ? L’exigence de certification, centrale pour les nouveaux modes de financement de la formation, comme le compte personnel de formation, fait-elle toujours sens pour l’entreprise ? Comment inventer de nouveaux modes de coopération entre la fonction formation et les directions métiers, ces dernières pouvant être tentées d’agir en solo en puisant à leur guise dans un étalage de formations multiformes bien achalandé ? À ces questions de fond s’ajoutent des questions d’organisation : quelle part de la gestion de la formation, tant administrative que logistique, est à conserver au sein de l’entreprise ou à externaliser ? Faut-il ou non comptabiliser toutes les nouvelles pratiques, comme le suivi d’un mooc, ou laisser une part au libre agir de chacun ? »
 

Le responsable formation appelé à se réinventer ou disparaître

 
« C’est une réinvention de la fonction formation qui se dessine. Celle-ci est, à raison, bousculée par ce nouveau contexte économique, sociétal et juridique. Le métier, comme beaucoup d’autres, doit démontrer sa capacité à innover et à faire la preuve de sa valeur ajoutée. Le comité de direction ne peut comprendre pleinement quelle est l’opportunité de disposer et de développer une cellule entièrement dédiée au développement de compétences, si celle-ci ne communique pas sur ses propres savoir-faire. Il doit être évident pour tous que faire appel à l’expertise pédagogique de ces professionnels va faire gagner du temps et de l’efficacité à tout le monde, et donc à l’entreprise. Mais le temps des projets incluant trois mois de réflexion et six mois de cadrage pour deux mois d’utilisation est bel et bien fini. C’est un fonctionnement agile et réactif qui fait aujourd’hui ses preuves. Le responsable formation, quel que soit son intitulé, doit devenir un acteur central dans toutes les expérimentations menées dans l’entreprise, en permanente transformation. C’est la condition clé pour initier un renouvellement permanent des savoirs ».
 

Plus qu’une liste à la Prévert, un système circulaire cohérent

 
« Les exemples d’actions et projets à mener pour encourager toutes les formes d’apprentissage ne manquent pas :
– valoriser toute initiative qui permet aux collaborateurs d’apprendre à apprendre,
– former des référents au codéveloppement et accompagner la constitution de groupes de retour d’expériences pour identifier et formaliser les expertises des équipes,
– réaliser et diffuser des kits de déploiement de communautés apprenantes, en associant les temps de rencontre réels à des échanges sur le réseau social interne,
– repérer et s’appuyer sur les personnes qui ont de l’appétence pour animer ces communautés, tout en disposant de la compétence du métier concerné,
– initier des fablabs et workshops croisant les métiers et les compétences pour porter un nouveau regard sur le travail et adopter rapidement de nouvelles façons de faire et de coopérer,
– devenir le community manager des community managers sur le réseau social interne en y favorisant les échanges et les consolidations de savoirs,
– participer à des think tanks de la formation pour partager ses projets et se nourrir des retours d’expériences des autres entreprises.
 
Toutes ces pistes ne font cependant pas sens si elles ne s’alimentent pas entre elles dans une démarche de conduite du changement permanent. » 
 

L’objectif : garantir et consolider un continuum pédagogique

 
« Le rôle clé de la fonction formation est de faire le lien entre tous ces temps d’apprentissages informels et les parcours de formation plus classiques. Le temps dédié au travail et celui consacré à la formation n’ont jamais été aussi liés. C’est un continuum pédagogique qui doit être proposé aux collaborateurs et dans lequel ils peuvent s’engager pleinement. Parmi les petits détails qui transforment à grands pas le positionnement de la formation dans l’entreprise, on peut retenir :
 
– la mise en relation systématique des collaborateurs qui veulent suivre une formation avec ceux y ayant déjà participé,
– la structuration d’une phase de prérequis sous la forme de visionnage de vidéos, le positionnement via des parcours gamifiés, 
– la possibilité d’identifier et de travailler sur ses lacunes avant de prendre part à une session collective,
– la systématisation d’un temps d’introspection avant la formation : pourquoi j’y vais et qu’est-ce que j’en attends ?  
– évaluer les impacts de la formation en diffusant des micro-questions de rappel pendant plusieurs semaines après la formation.
 
C’est sur cette construction de parcours modulaires et ce suivi fin des objectifs et de leurs réalisations que va se fonder, ou se refonder, la fonction formation. Il ne s’agit pas d’individualiser, cela serait trop coûteux, mais de personnaliser les voies de progression en agrégeant des parcours qui mixent une vaste palette de modalités pédagogiques, formelles et informelles adaptées à un certain profil d’apprenants. »
 

Accompagner chacun avec finesse pour embarquer tout le monde

 
« Le véritable enjeu des acteurs de la fonction formation au sens large est de changer l’état d’esprit à l’œuvre dans l’entreprise. De transformer le rapport à son métier et de repenser le rôle de chacun pour qu’il ne soit pas centré seulement sur des réalisations personnelles, mais vise avant tout le savoir travailler ensemble. Dans ce bouleversement culturel, les professionnels RH ont la mission stratégique de savoir embarquer chaque collaborateur en fonction d’où il en est aujourd’hui. Les personnes en situation de rupture, notamment en matière de digitalisation de l’entreprise, sont à accompagner bien différemment des jeunes recrues, qui elles ont tout apprendre de la culture d’entreprise. » 
 

Vers une symétrie des attentions : collaborateurs/clients

 
« C’est une approche segmentée, empruntant les codes et les outils du marketing, qui est à développer pour insuffler ici un soutien à passer des caps en matière de digital, là des temps d’échanges et de retour d’expérience, pour partager un langage commun. À ces clients internes, les collaborateurs, qui ont des besoins différents, en fonction de leurs parcours et de leurs rôles dans l’entreprise, il est indispensable de pouvoir proposer la bonne brique. L’expertise de la fonction ressources humaines est d’apporter une analyse fine, mais réaliste et efficace des différentes cibles pour déployer à leur intention les bonnes solutions au bon moment. C’est une véritable symétrie des attentions qui s’esquisse : les exigences pour l’interne se calquent sur le soin porté à celles exprimées à l’externe par les clients de l’entreprise ».
 
« Face à ce changement de paradigme, et en guise de conclusion, la fonction ressources humaines peut éprouver elle-même le besoin d’être rassurée sur sa capacité à accompagner les changements à l’œuvre. Cette phase de prise de conscience est fondatrice. Elle permet ensuite d’adopter la bonne posture face aux salariés, tous appelés également à réinventer leurs métiers. Le serial learning est donc l’affaire de tous, mais rien ne se fera pas sans de vrais professionnels de la formation ».
 
Pour aller plus loin, lire aussi les articles ou livres blancs sur le site Demos.fr :
 
 
 
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(1)THE FUTURE OF EMPLOYMENT: HOW SUSCEPTIBLE ARE JOBS TO COMPUTERISATION?​ Par Carl Benedikt Frey, Michael A. Osborne, September 17, 2013, Oxfort University.​